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Confusion à l’OIT? Le gouvernement chinois élu au Conseil d’administration à titre de … délégué des travailleurs/euses

Inséré sur le site web de l'UITA le 20-Jun-2002

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Il règne, depuis plusieurs dizaines d’années, un consensus au sein du mouvement syndical démocratique sur le fait que l’ACFTU (All-China Federation of Trade Unions) est un élément du Parti et de la structure de pouvoir d’État en Chine, c’est-à-dire que les «syndicats» chinois représentent l’État (appuyés par la police et l’armée) et non les travailleurs/euses. Depuis plus de dix ans, l’ACFTU a entrepris une poussée soutenue en vue de se donner une légitimité internationale, dans le but principalement de lui permettre d’appuyer plus efficacement encore les politiques nationales chinoises en matière d’économie et de politique étrangère. Au cours de cette même période – durant laquelle l’investissement étranger s’est accéléré dans un régime répressif de bas salaires où les droits des investisseurs étrangers sont protégés par toute la rigueur du pouvoir policier – certaines centrales syndicales nationales ont graduellement modifié leur opinion de l’ACFTU. Certaines ont même ouvert des relations bilatérales avec l’ACFTU, une politique appelée «engagement constructif».

Cette politique n’a produit aucun gain apparent pour les travailleurs/euses chinois/ses, qui continuent d’être systématiquement emprisonnés/es lorsqu’ils/elles tentent d’exercer leur droit à la liberté syndicale. Elle a toutefois mené à une confusion certaine et à un début de légitimation de l’ACFTU. Les conséquences de ce processus sont apparues clairement la semaine dernière dans le vote tenu par un groupe de travailleurs/euses divisé à la Conférence internationale du travail, alors qu’une faible majorité a décidé de donner à l’ACFTU un siège de délégué substitut des travailleurs/euses au Conseil d’administration de l’OIT. Ce vote sera inévitablement perçu comme un affaiblissement de l’engagement du mouvement syndical international à défendre le droit des travailleurs/euses chinois/ses à former des syndicats indépendants et d’y adhérer.

Il n’est pas surprenant de constater que les critiques des gouvernements envers le dossier exécrable de la Chine en matière de droits aient diminué en proportion inverse du flux d’investissements étrangers profitant de la répression. Dans le cas qui nous occupe, ce sont cependant les délégués/es des travailleurs/euses, et non celles et ceux/ des gouvernements, qui ont donné à l’ACFTU – une constituante d’un appareil étatique qui rejette les Conventions de l’OIT sur la liberté syndicale – un siège au Conseil d’administration d’une organisation dont le mandat consiste en partie à défendre le droit des travailleurs/euses d’appartenir à des organisations syndicales indépendantes.

La reconnaissance internationale croissante de l’ACFTU, formelle ou de fait, survient à un moment où le mouvement de protestation et la mobilisation atteignent des niveaux sans précédent chez les travailleurs/euses chinois/ses, qui cherchent à se défendre contre les effets de la restructuration massive de l’économie, du chômage et de la liberté totale accordée aux investisseurs transnationaux. Ce printemps, des dizaines de milliers de travailleurs/euses du pétrole et de la métallurgie ont entrepris des luttes soutenues pour leurs droits à titre de travailleurs/euses et tenté de constituer des organisations syndicales indépendantes afin de négocier avec l’État et ses gestionnaires. Les dirigeants/tes du mouvement ont été emprisonnés/es – avec l’assentiment de l’ACFTU – mais les protestations et les manifestations se sont poursuivies.

Dans ce contexte, une reconnaissance accrue accordée à l’ACFTU – une organisation qui refuse de défendre les travailleurs/euses victimes de la répression étatique – lance un message sans équivoque aux travailleurs/euses chinois: leurs demandes pour l’établissement de syndicats indépendants doivent être subordonnée à un autre programme.

L’acceptation de toute capitulation exige une forte dose d’amnésie. Les organisations internationales qui appuient la reconnaissance de l’ACFTU peuvent oublier l’obligation statutaire qui lui est faite «de soutenir la dictature du prolétariat, de soutenir le leadership du Parti communiste chinois, de soutenir la Pensée marxiste-léniniste-maoïste-Deng Xiaoping, de soutenir les réformes et l’ouverture…». Les travailleurs/euses chinois/ses ne le peuvent pas. Les partisans de «l’engagement constructif» peuvent oublier les liens étroits qui existent entre l’armée, la police, les services de sécurité et l’ACFTU. Les travailleurs/euses chinois/ses ne le peuvent pas. Les «diplomates» syndicaux/cales qui visitent la Chine peuvent oublier les conditions de travail dangereuses qui prévalent en Chine et qui découlent de l’absence de véritables organisations syndicales au sein des entreprises et tuent des milliers de travailleurs/euses chaque année. Les travailleurs/euses chinois/ses ne le peuvent pas. Les partisans du «dialogue critique» peuvent ignorer la situation vulnérable dans laquelle se trouve la HKCTU (Hong Kong Confederation of Trade Unions), seule véritable organisation syndicale indépendante en Chine. Les travailleurs/euses de Hong Kong ne le peuvent pas, et peuvent difficilement se réjouir du vote pris la semaine dernière par leurs camarades à l’OIT.

Les travailleurs/euses chinois/ses continueront de lutter pour leurs droits parce qu’ils/elles n’ont pas le choix. Les manifestations du printemps ne sont que le prélude à un mouvement ouvrier plus étendu, mouvement qui, inévitablement, s’opposera à l’ACFTU et à l’appareil répressif du Parti et de l’État. Les travailleurs/euses ont une mémoire, et ils demanderont aux partisans de l’amnésie de quel côté ils se trouvaient, et de quel côté ils se trouvent encore.

L’ACFTU a rapidement compris comment présenter un visage international acceptable et exploiter avec habileté la confusion internationale. Le siège qu’elle est parvenue à obtenir – détenu précédemment par la fédération syndicale israélienne Histadrut – a été choisi avec soin pour exploiter la large opposition aux politiques appliquées par Israël dans les territoires occupés. Les centrales nationales qui ont cru pouvoir exprimer un vote contre le gouvernement Sharon en remplaçant un syndicat – Histadrut – par un organe de répression – l’ACFTU – sont tombées dans le piège et se sont fait complices d’opportunisme. Elles sont coupables au mieux de confusion, au pire d’un manque grave de principes. De la même manière que les travailleurs/euses chinois/ses se font dire que leurs aspirations doivent être subordonnées au programme diplomatique anti-travailleurs/euses, les syndicats israéliens – l’un des rares mouvements syndicaux réellement démocratiques dans la région – se font dire qu’ils doivent payer pour les actions commises par un gouvernement de droite. L’amnésie et la confusion ont remplacé les principes, et ce sont les travailleurs/euses de par le monde qui devront en payer le prix.

L’une des caractéristiques qui définit l’opportunisme est l’incapacité d’attendre. Tout comme certains voudraient substituer de douteux «codes de conduite» et autres stratagèmes similaires à de véritables organisations syndicales en Chine, des syndicalistes qui devraient pourtant être plus avisés/es ont choisi de légitimer un appareil d’État destiné à contrôler les travailleurs/euses chinois/ses, au moment même où ces derniers/ères remettent en question l’appareil du pouvoir en Chine.

Celles et ceux qui ont voté pour donner à l’ACFTU le statut de «déléguée des travailleurs/euses» au Conseil d’administration de l’OIT ont sans aucun doute une toute autre explication. Ils/elles espèrent certainement que les travailleurs/euses chinois/ses seront frappés/es d’amnésie collective au moment ou ils/elles se débarrasseront enfin de l’ACFTU et de l’appareil d’État qui les empêchent de former les syndicats indépendants auxquels ils/elles aspirent. Lorsque cela se produira – et cela se produira – on demandera aux travailleurs/euses chinois/ses d’effacer de leur mémoire collective toute trace de cet événement et de leur compréhension de ce qui fait d’une braderie… une braderie.