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Pinochet: le chien est mort, mais la rage est toujours présente

Inséré sur le site web de l'UITA le 15-Dec-2006

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L’ancien dictateur Augusto Pinochet est parvenu à accomplir une bonne partie des choses qu’il a entreprises, mais son décès de causes naturelles à un âge avancé, entouré de sa famille et avec des partisans (même en petit nombre) portant son deuil dans la rue, lui a sans doute permis de réaliser son dernier rêve, le plus macabre de tous.

Les faits sont abondamment documentés – les meurtres, les « disparitions », la torture et les autres violations des droits humains, de même que la sordide fortune amassée par le meurtre, le vol et le trafic des armes et de la drogue, auxquels s’ajoute les récompenses à peine voilées pour son assujettissement aux grandes puissances mondiales et la trahison de son peuple et des nations voisines.

La pusillanimité du système de justice chilien dans le dossier Pinochet laisse un goût amer dans nos bouches. Le traitement accordé à Pinochet marque un violent contraste avec l’attitude vigoureuse manifestée dans d’autres dossiers, notamment celui des trois officiers uruguayens qui, sur l’ordre de Pinochet, ont enlevé un chimiste et l’ont gardé en captivité en Uruguay, un pays démocratique. Le corps de Berríos a plus tard été retrouvé enterré sur une plage de l’Uruguay. Les trois officiers ont été extradés vers le Chili, où ils ont été accusés et libérés sous caution, sans être autorisés à quitter le pays. Le général, quant à lui, pouvait aller et venir à son gré.

Pinochet n’était pas un démon sorti des enfers, mais le pur produit d’une armée organisée dès le départ selon les plus pures et les plus dures traditions prussiennes, auxquelles vient s’ajouter une solide dose de nazisme et de fondamentalisme catholique. Pinochet et son régime ont transformé le Chili en un immense laboratoire pour l’application des plus horribles théories des Chicago Boys. Les économistes meurtriers avaient trouvé dans le Boucher de Santiago l’instrument parfait pour jeter les bases d’un système économique qui, avec certaines variations, persiste encore aujourd’hui.

Pinochet a pris le pouvoir dans la foulée de la Guerre froide, avec le soutien de ITT Corporation; sa mission était de réduire en poussière ce qui était alors un des peuples les mieux organisés et les plus politiquement actifs d’Amérique latine. La cruauté et la brutalité de la répression ont été proportionnelles à la crainte qu’inspiraient ces organisations populaires au sein de la classe dominante locale et mondiale.

Sous la dictature de Pinochet, la répression du mouvement syndical était totale. Il ne devait plus être question de syndicats, de droits des travailleurs/euses, de conventions collectives, les salaires n’étaient plus qu’une aumône et une balle attendait ceux et celles qui osaient protester. Le « modèle chilien » n’a pas seulement été construit sur 30 000 disparitions, mais aussi sur un peuple étouffé, menacé, contrôlé, persécuté et affamé.

Pinochet et ses hommes de main sont allés plus loin que quiconque dans la construction d’un régime qui ne plaçait aucune limite sur l’activité commerciale. Il n’a pas fallu longtemps aux sociétés transnationales pour comprendre les énormes profits offerts par le complexe militaro-national qui se comportait comme une armée d’occupation. Et elles se sont établies au Chili en grande pompe. Les fondements de ce système restent aujourd’hui en grande partie intacts. L’impunité politique et juridique dont ont joui Pinochet et les classes sociales qui l’ont soutenu et qui ont bénéficié de ses crimes nous obligent à garder un œil prudent sur l’avenir du Chili. La mort de l’assassin devrait permettre de libérer une lutte décisive afin de forcer la société chilienne à définir la place de Pinochet – et de tout ce qu’il symbolise – dans l’histoire du pays, une tâche qui demande aussi de placer sur la même page l’autre facette du Chili : l’aspect humanisant et démocratisant qui reste symbolisé par Salvador Allende.

Les indications ne sont pas très prometteuses, et pas uniquement au Chili. En Argentine, par exemple, nous devrions nous inquiéter fortement de la disparition récente et toujours inexpliquée de Julio López, un témoin important dans le procès du meurtrier génocidaire Etchecolatz, et par la campagne incessante de menaces et d’intimidations menée contre les activistes des droits humains bien connus dans ce pays, dont plusieurs sont des survivants de la « sale guerre ». Au Brésil, le président Lula continue de faire la sourde oreille au demandes faites depuis plusieurs années par les organismes de défense des droits humains, qui l’appellent à ouvrir les archives militaires pour que le peuple brésilien puisse connaître la vérité sur la dictature brésilienne, un autre régime militaire ayant adopté un modèle économique – le « miracle brésilien » - ayant précédé le modèle mis en œuvre par Pinochet et qui l’a préfiguré sous plusieurs aspects.

En Uruguay, les officiers les plus notoires de l’armée et de la police accusés d’avoir commandé la répression en vertu du Plan Condor – une autre invention du Boucher de Santiago – ont été traduits devant les tribunaux et attendent leur procès en prison, avec l’ancien dictateur Juan María Bordaberry et son ministre des Affaires étrangères, Juan Carlos Blanco. Ces mesures prises par le pouvoir judiciaire en Uruguay constituent un net pas en avant dans la recherche de la justice, toujours entravée par la Loi sur l’expiration des pouvoirs punitifs de l’État, dont l’abrogation est maintenant demandée par d’importants segments de la société, par l’entremise d’une campagne appuyée par l’UITA Amérique latine. Pourtant, nous devons encore mettre en œuvre la première partie de la demande faite depuis si longtemps par la gauche, maintenant au pouvoir : la vérité. Les rapports fournis par les militaires concernant le sort des disparus ne sont que des opérations de désinformation et ici aussi, les dossiers militaires sont protégés derrière les hauts murs de quartiers généraux fortement gardés.

La mort de Pinochet devrait être un appel à la réflexion sur les puissantes conséquences laissées sur les sociétés d’Amérique latines par les dictatures militaires. Elle doit nous inciter à rechercher, analyser et exposer les traces d’impunité; elle doit renforcer notre engagement envers une lutte incessante pour la démocratie associée à la justice sociale, à la mémoire, à la justice pour tous et à la dignité.

Que personne n’oublie le Boucher de Santiago… et que personne ne le craigne plus jamais!