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Fuite à l’UE : des documents révèlent ce qui nous attend à l’OMC

Inséré sur le site web de l'UITA le 26-Apr-2002

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En 1998, les opposants à la forme de mondialisation promue par les sociétés ont remporté une victoire importante avec la diffusion sur Internet du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) de l’OCDE. Des gouvernements bien embarrassés ont alors été contraints de retirer leur appui à un accord largement perçu (avec raison) comme donnant naissance à une charte conférant des droits illimités aux investisseurs transnationaux. Les sociétés à l’origine de l’AMI n’ont toutefois jamais abandonné leur projet. Celui-ci a entre autres refait surface dans les clauses sur l’investissement proposées dans le cadre du projet d’Accord de libre échange des Amériques (ALEA), qui vise à étendre l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) à l’ensemble des pays d’Amérique centrale et du Sud et des Caraïbes. Et il fait maintenant son chemin au sein de l’OMC.



Le chapitre «Commerce et investissement» adopté dans le cadre du «Cycle de développement de Doha» encourageait l’évolution vers une charte globale complète et générale des droits des investisseurs multinationaux, inspirée de l’AMI. Voilà que des documents confidentiels préparés par la Commission européenne dans le but de préciser la position de l’UE dans les négociations à venir au sein de l’OMC sur le commerce des services (ACGS) donnent un aperçu de l’orientation que pourrait prendre l’AGCS s’il n’est pas mis un frein à l’appétit des sociétés. Ces documents ont fait l’objet d’une fuite le 16 avril et peuvent être consultés (en anglais) sur le site Gatswatch.



Les documents présentent une liste (incomplète) des exigences que l’UE entend présenter à 29 autres États membres de l’OMC, riches et pauvres. Ces exigences, formulées dans le jargon bureaucratique de l’UE, recouvrent essentiellement une même proposition: les services, y compris l’eau, l’énergie, les transports, les communications, les voyages et le tourisme doivent être mis aux enchères à l’intention des sociétés et les lois nationales visant à protéger ces secteurs d’une invasion complète par le secteur privé doivent être abolies. L’expression fourre-tout «services environnementaux» englobe entre autres «l’adduction d’eau, les services de purification et de distribution par conduites principales, la gestion des déchets solides/dangereux, les services d’élimination des déchets, l’assainissement et les autres mesures de protection de l’air ambiant, les services visant la réduction des émissions gazeuses et autres et l’amélioration de la qualité de l’air, les mesures correctives et d’assainissement des eaux et des sols, le traitement et l’assainissement des sols contaminés/pollués, la protection de la biodiversité et du paysage», ainsi que «les autres services environnementaux et connexes».



Ces exigences sont la marque d’un monde dans lequel l’entreprise privée gère des réseaux d’adduction d’eau entièrement privatisés pour l’industrie, l’agriculture et les consommateurs/trices. L’eau fournie par les grandes sociétés irriguera des champs où sont cultivées des plantes OGM. Les «services environnementaux» privés factureront les gouvernements pour l’élimination des déchets toxiques, y compris la pollution générée par les sociétés transnationales. Les services médicaux privés traiteront les victimes et les malades qui sont en mesure de payer. Les «services éducatifs» privés remplaceront les écoles publiques.



Tiré par les cheveux? UPS, se fondant sur le chapitre 11 de l’ALENA, a engagé des poursuites contre le gouvernement du Canada, essentiellement parce que ce dernier exploitait un service postal public. Ce procès est en soi un défi à l’existence même d’un secteur public. Or, le Chapitre 11 de l’ALENA, qui a été utilisé pour obtenir le rappel de lois environnementales visant la protection de la santé publique dans les trois pays signataires, a servi de modèle aux rédacteurs de l’AMI et d’inspiration pour la plus grande partie des propositions sur l’investissement qui ne manqueront pas d’émerger dans le cadre du Cycle de développement de Doha.



Il est possible que l’idée de procès d’investisseurs aux États, une arme utilisée avec un effet dévastateur dans le cadre de l’ALENA, ne figure pas dans les nouvelles règles de l’OMC sur l’investissement, bien que cette possibilité ne doive pas être exclue. Il est toutefois certain que l’AGCS peut être utilisé pour introduire une protection en profondeur des intérêts des investisseurs transnationaux. Les règles de l’ALENA stipulent que les lois nationales doivent poser « aussi peu de restrictions au commerce que possible ». Les négociateurs européens à l’AGCS, pour leur part, ont repris les propositions des entreprises sur l’adoption de «critères de nécessité» élargis, lesquels exigeraient des États membres qu’ils fassent la preuve que la réglementation visant la protection de l’intérêt public n’est «pas plus accablante que nécessaire» pour les investisseurs. C’est le profit qui fait loi: toutes les mesures pouvant faire augmenter les frais d’exploitation des entreprises sont sujettes à contestation par des investisseurs et donc susceptibles d’être invalidées par l’OMC. Avec des règles semblables dans l’AGCS, il ne sera plus nécessaire pour les investisseurs de recourir à des formalités lourdes comme les procès contre les États; ces derniers auront renoncé d’eux-mêmes à toute velléité de protection de l’intérêt public.



Tandis que les gouvernements de l’UE et les bureaucrates commerciaux s’efforcent de réduire les dommages et d’établir la source de la fuite, les organisations syndicales peuvent tirer plusieurs leçons de cet épisode de l’histoire sans fin de la diplomatie commerciale secrète. Premièrement, il nous faut reconnaître que les gouvernements, tant nationaux que supranationaux, ne pratiquent pas le commerce. Les échanges commerciaux sont le fait des entreprises, dont l’appétit ne connaît plus aujourd’hui aucune limite. L’UE prétend donner corps à un engagement envers le «développement durable». La position qu’elle a adoptée dans les négociations sur l’AGCS tend à démontrer le contraire. L’ouverture accrue des marchés aux pays en développement dans le cadre de la politique «tout, sauf les armes» proposée par le Commissaire au commerce Pascal Lamy semble comporter un prix très élevé, que l’on pourrait décrire ainsi: «tout est aux enchères ».



Deuxièmement, si la mobilisation populaire a tué l’AMI, elle ne l’a pas éradiqué. Les organisations syndicales et leurs alliés devront suivre attentivement les négociations sur l’AGCS et conserver un degré de vigilance élevé pour s’assurer que l’AMI n’effectue pas sa rentrée par la porte de derrière de l’AGCS.



Enfin, il est tout aussi important pour le mouvement syndical d’élaborer et de s’efforcer de faire adopter au plan international une vision différente du commerce mondial dans laquelle le commerce est mis au service du développement démocratique et de la satisfaction des besoins humains plutôt qu’à celui du profit privé. Les menaces comme l’AMI et les propositions dans le cadre de l’AGCS, qui remettraient entre les mains des sociétés présentant l’offre la plus élevée la propriété des ressources génétiques, de l’air et de l’eau du monde continueront de revenir périodiquement tant que la logique de la solidarité n’aura pas supplanté la logique des conseils d’administration et que les droits n’auront pas pris le pas sur le profit.