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UITA
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Nouvelles règles, même enjeu pour les négociations sur les services à l'OMC

Inséré sur le site web de l'UITA le 03-Oct-2005

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Les services sont aujourd’hui pour l’Europe l’enjeu principal du programme de Doha(communiqué de presse du Forum européen des services, Bruxelles, 31 mai 2005).

Tous les gouvernements sont convenus que, pendant la nouvelle série de négociations, la liberté de décider de libéraliser ou non tel ou tel secteur de services, ainsi que le principe de la libéralisation progressive seront maintenus (tiré de la brochure de l’OMC "AGCS – Faits et fiction").

L’Accord général sur le commerce des services (l’AGCS) est l’un des piliers de l’OMC, avec l’Accord sur l’agriculture et l’Accord sur les ADPIC. L’AGCS pose les fondations d’un cadre obligeant les pays membres à ouvrir un vaste éventail de services aux investisseurs étrangers. Selon les règles de l’AGCS, une fois un secteur ouvert aux investissements, aucune marche arrière n’est possible. Faire avancer les négociations sur l’AGCS est considéré comme une étape cruciale de la série actuelle de négociations. Mais ces négociations sont enlisées et traînent tellement en longueur que l’ancien directeur de l’OMC, Supachai Panitchpakdi, se lamentait régulièrement de l’absence d’offres "plus importantes et de meilleure qualité".

Par des "offres plus importantes", il voulait dire que davantage de pays ouvrent plus de secteurs de services au plus offrant des investisseurs étrangers. Des offres "de meilleure qualité" signifie qu’on attend des États qu’ils s’engagent à soumettre des offres qui donnent un accès à leur marché de services supérieur à l’accès actuel. Des offres "plus importantes et de meilleure qualité" veut dire que les gouvernements renoncent de fait à leur droit et à leur obligation à réglementer les services, généralement perçus comme dépendant des législations nationales du fait qu’ils sont dans l’intérêt public.

Les négociations ont peu progressé parce qu’à ce jour, elles se déroulaient selon un processus d’adhésion "volontaire" et "sélectif". D’après les règles actuelles de l’AGCS, les gouvernements ne sont contraints de prévoir l’ouverture que de quelques services limités, et peuvent aussi en apparence refuser d’ouvrir leurs services aux investissements étrangers. Par exemple, le Mali pourrait ouvrir son marché de distribution d’eau aux transnationales basées dans l’UE, en leur permettant de fonctionner dans les mêmes conditions que les entreprises nationales. Cette clause est connue sous le nom de principe de "non-discrimination". Elle doit aussi permettre aux transnationales basées au Mali d’investir dans les services européens de traitement de l’eau si elles choisissaient de le faire, établissant ainsi des chances égales entre investisseurs.

Dans la réalité, ces dispositions ne tiennent pas compte des pressions importantes que subissent les pays en développement, presque tous fortement endettés, dans leurs relations avec les institutions financières internationales. Ces pays courent le risque réel de se voir nier l’accès aux marchés internationaux s’ils ne réduisent pas fortement les dépenses pour les services publics, comme la santé et l’éducation, et ne livrent leur marché des services aux investisseurs étrangers. Satisfaire à ces demandes, généralement accompagnées de demandes pour une déréglementation accrue du marché du travail, est qualifié de "bonne gouvernance". La bonne gouvernance maintient la valeur des portefeuilles d’investissement globaux et permet de se voir octroyer des points par la Banque mondiale, dans son nouvel indice d’évaluation des gouvernements "favorables aux investisseurs".

Compte tenu des désastreux précédents de privatisation des services, tant dans les pays pauvres que riches, les États rechignent de plus en plus à abandonner la gestion des services. Les révoltes populaires, comme celle liée à la privatisation de l’eau qui a amené la Bolivie au bord de la guerre civile, ou l’épreuve de force entre le gouvernement argentin et la société qui avait fait main basse sur la distribution d’eau de Buenos Aires, ne sont pas des situations que la majorité des gouvernements envisage sereinement. Les négociations sur l’AGCS n’ont ainsi pas donné les résultats escomptés, amenant les sociétés et leurs groupes de pression (comme le Forum européen des services) à passer à l’offensive, et obligeant à leur tour les gouvernements à inclure l’ordre du jour élargi des entreprises dans les négociations commerciales.

L’une des manifestations de cette offensive a été les menées en faveur d’accords régionaux et bilatéraux comprenant des clauses étendues de libéralisation des services. Les investisseurs ont ainsi pu obtenir ce qu’ils n’ont pas obtenu à ce jour avec l’AGCS. Mais un accord global, sous l’égide de l’OMC, reste l’objectif final, parce qu’il établirait un cadre global contraignant, qui pourrait être à son tour revu à la hausse par de nouveaux accords bilatéraux. Le processus de l’AGCS, dont les lignes directrices de négociations sont déjà favorables aux investisseurs, devra alors être élargi afin d'améliorer la "qualité" des offres. Ce qui en d’autres termes s’appelle remettre sur les rails "les négociations sur le développement".

Une modification explicite des règles de l’OMC est toutefois une opération risquée. Elle nécessiterait un accord par consensus, un processus lent et pénible pour une institution souffrant déjà d’une sérieuse crise de crédibilité. D’où les six propositions soumises aux comités de négociation de l’AGCS, avancées dans un premier temps par l’UE, et ensuite par le Japon, l’Australie, la Corée du Sud, Taïwan et la Suisse.

Celles-ci prévoient l’abolition de la nature bilatérale du processus (offres et demandes), privant ainsi les États membres de l’OMC de la marge de manœuvre leur permettant de décider quel secteur de services, ou non, ils choisiraient d’ouvrir et à quel rythme, et la remplaçant par une série de dispositions impératives. Le nouveau terme s’appliquant à cette procédure est "benchmarking" (évaluation de performance) ou "approches complémentaires". Les exigences du "benchmarking" obligeraient les pays à s’engager à ouvrir simultanément un nombre minimum de secteurs et de sous-secteurs et de lier ce processus à la promesse d’une libéralisation plus poussée à l’avenir. Le cadre réglementaire de base, telles les limites sur les capitaux étrangers investis et la distinction entre les fournisseurs de services nationaux et étrangers, pourrait être sévèrement réduit, voire éliminé.

Les syndicats connaissent déjà l’évaluation des performances sur le lieu de travail, un processus par lequel les sociétés établissent les normes de productivité et amènent les entreprises nationales et internationales à entrer en concurrence pour répondre à ces critères et les dépasser, avec pour conséquence une compétition accrue entre les travailleurs/euses et des pressions vers le bas sur les salaires et les conditions de travail.

Une course toujours plus rapide vers le bas est à présent introduite dans les négociations sur les services à l'OMC (AGCS). L’inclusion du "benchmarking" dans l’AGCS signifie des pressions plus fortes afin d'ouvrir davantage de services aux investisseurs et déréglementer encore plus. Elle rend évidente l’objectif final de l’AGCS, dénoncé par ses critiques : une énorme foire d’empoigne pour les sociétés transnationales.

Les négociations sur l’AGCS, en raison de leur portée ambitieuse, auront un impact considérable sur la société civile et sur le mouvement syndical dans leur ensemble, y compris sur les membres de l’UITA .(voir l’attaque de l’AGCS sur l’alimentation et l’agriculture pour une analyse de l’impact sur le système alimentaire mondial). L’UITA s’est donc jointe à d’autres fédérations syndicales internationales, notamment l’Internationale des Services Publics (PSI), la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM), et des organisations de la société civile mobilisées sur des questions d’investissements et de commerce afin de faire connaître et dénoncer ces propositions. Une déclaration commune a été envoyée au directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, ainsi qu'au président du comité de négociations sur les services, appelant à un rejet sans équivoque du "benchmarking".

Le texte complet est disponible sur le site web de PSI (en anglais seulement), et nous encourageons tous les syndicats en s’en servir pour faire part de leur opposition auprès de leur gouvernement et de leurs négociateurs/trices syndicaux/ales nationaux/ales. Les marchés des services, comme tous les marchés, doivent être réglementés par l’État, dans l’intérêt du public. L'AGCS, de par sa portée, a le potentiel de réduire fortement, voire d’éliminer le rôle des gouvernements dans tous les services, publics et privés. Ce processus doit être bloqué aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.