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« Adieu Seattle? » Le mouvement ouvrier et la «guerre contre le terrorisme»

Inséré sur le site web de l'UITA le 21-Dec-2001

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Les critiques du système économique mondial sont mis en position difficile par la « guerre contre le terrorisme ». La poussière n’avait pas encore fini de retomber sur les décombres du World Trade Center à Manhattan que les zélotes du «libre-échange» s’affairaient déjà à établir un nouvel ordre de bataille. Dans un article publié dans le International Herald Tribune du 13 septembre (The New World Order is a Clash of Civilizations), l’éditeur John Vinocur affirmait que «la preuve était faite» que la «diabolisation» de l’OMC «avait désormais pris la forme d’une entreprise potentiellement meurtrière». Le Wall Street Journal, sous le titre optimiste Adieu Seattle?, se réjouissait de voir que les manifestations contre l’OMC «avaient disparu dans le monde souterrain où ont été reléguées toutes les choses qui nous semblaient importantes alors», tout en s’empressant d’appliquer aux opposants à la déréglementation mondiale la flétrissure du terrorisme.




Ce même jour, l’ambassadeur au commerce des États-Unis, Robert Zoellick, appelait à une « contre-offensive économique » en complément de l’intervention militaire, pour «assurer le leadership des États-Unis». Le premier point à l’ordre du jour politique? «La promotion de nos valeurs, en accordant au Président le pouvoir de favoriser les échanges commerciaux»: la fameuse «voie rapide» qui permettrait au Président de ratifier des traités de grande ampleur comme celui créant la Zone de libre échange des Amériques (Free Trade Area of the Americas – FTAA), sans devoir les soumettre d’abord à un débat complet et à un examen par les représentants élus.



Le 24 septembre, dans un discours prononcé devant l’Institut de l’économie internationale à Washington, DC, Zoellick a appelé à «examiner de près l’histoire économique et politique» et informé son auditoire, entre autres, qu’il existait un lien entre les «débats fracassants (sic) de l’Internationale socialiste», le terrorisme nationaliste et l’assassinat de l’archiduc autrichien qui engendra la Première Guerre Mondiale.




Parmi les exemples de «mesures de compassion et d’équité» qui sous-tendent la politique commerciale des États-Unis, Zoellick mentionna «la ‘souplesse’ dont les États-Unis ont fait preuve à l’égard des règles de propriété intellectuelle pour aider à favoriser une réponse globale à l’épidémie de VIH/SIDA» et la loi AGOA (African Growth and Opportunity Act) qu’il décrit comme «une occasion extraordinaire d’intégrer les pays africains au système commercial». Ces affirmations outrancières ne sont pas davantage fondées que les accusations diffamatoires de Zoellick sur le rôle historique du mouvement ouvrier. Les sociétés transnationales du secteur pharmaceutique n’ont choisi d’opérer une retraite partielle et tactique sur les prix et la production des traitements pour le VIH/SIDA qu’après une campagne mondiale de protestation populaire, à laquelle a activement participé le mouvement ouvrier. Par ailleurs, la loi AGOA que mentionne Zoellick ne donne accès au marché étasunien aux fabricants de vêtements africains qu’à la condition expresse que ces derniers utilisent des tissus et du fil fabriqués aux États-Unis.




La désinvolture avec laquelle Zoellick traite une histoire complexe et son embellissement de la politique commerciale des États-Unis contiennent une menace à peine voilée contre le débat démocratique: vous êtes en faveur de la «voie rapide», du «libre-échange» et un nouveau cycle de négociations de l’OMC ou vous n’êtes pas un patriote. Vous appuyez le projet des entreprises ou vous vous faites conciliant envers le terrorisme. Il n’y a pas d’autres choix.
Ces manipulations idéologiques ont été dénoncées – ce qui demandait du courage, dans les circonstances – par le président de l’AFL-CIO, John Sweeney, qui a affirmé que les arguments employés par Zoellick étaient «absurdes et offensants, laissant entendre que ceux qui n’approuvent pas cette proposition hautement partisane de voie rapide étaient d’une certaine manière protectionnistes, isolationnistes ou, pire encore, qu’ils refusaient de combattre le terrorisme. Nous sommes fortement en faveur de mesures visant à stimuler l’économie des États-Unis et à répondre à la tragédie du 11 septembre, mais la procédure de voie rapide ne fait ni l’un ni l’autre». La ressemblance avec l’intimidation intellectuelle qui avait cours durant la Guerre froide, marquée par de constantes objurgations à subordonner l’ensemble des activités aux intérêts de l’un ou l’autre «camp», est évidente – l’administration Bush elle-même ayant fait le lien entre l’époque qui débute et les décennies de la Guerre froide.




Dans cette situation, le mouvement ouvrier doit se mobiliser pour défendre le droit au débat démocratique et à la divergence d’opinion et préserver son indépendance d’esprit et d’action. La nécessité d’une action internationale coordonnée afin d’éliminer les réseaux terroristes est évidente. C’est de fait la menace énorme que font poser ces groupes sur la démocratie et les droits de la personne qui nous oblige à soulever des questions fondamentales sur les buts, les méthodes et les objectifs à long terme de la campagne antiterroriste. Il faut assurer une participation maximale du public et un débat de fond au sein de celui-ci, plutôt que de se limiter au règlement de compte appelé par Zoellick, les entreprises et leurs alliés dans les médias.




L’élaboration de stratégies sérieuses pour la paix et la sécurité passe par une réflexion stratégique à long terme – et l’allocation de ressources appropriées pour les mettre en œuvre. Le peuple du Pakistan a certainement besoin d’être libéré des dettes écrasantes accumulées durant des décennies par des dirigeants corrompus. Il en va de même de centaines de millions de personnes à travers le monde. L’appel en faveur d’une diminution importante de la dette des pays en développement – qui compte depuis longtemps au nombre des demandes du mouvement syndical international en vue d’une réorientation fondamentale des priorités internationales – ne peut être subordonné aux besoins changeants de la diplomatie. Il doit être placé au cœur de notre programme de reconstruction sociale internationale, et être associé à des campagnes soutenues pour renforcer la démocratie à travers le monde et endiguer les pouvoirs des entreprises.



Face à la menace de l’anthrax, le gouvernement des États-Unis tente aujourd’hui de passer outre aux lois internationales sur les brevets qu’il défendait hier encore avec acharnement. Le prix des médicaments brevetés en rend la distribution à grande échelle outrageusement onéreuse, une situation que connaissent trop bien les millions de victimes de l’épidémie de VIH/SIDA qui ravage le monde. Il ne pourrait pourtant y avoir d’argument plus frappant pour placer les besoins des êtres humains devant les «droits de propriété intellectuelle» des sociétés transnationales.
Après avoir proclamé un état d’urgence en santé publique – dans lequel les travailleurs/euses des postes, du gouvernement et des médias sont aux premières lignes – les autorités étasuniennes découvrent aujourd’hui que leur système de santé publique n’est qu’une coquille vide. Pourtant, c’est ce même système que l’on propose comme modèle universel. La Zone de libre-échange des Amériques et l’Accord général sur le commerce des services mettraient aux enchères la totalité des services publics, incluant les soins médicaux.




L’administration Bush, qui a récemment fait échouer les négociations en vue d’un protocole international pour l’élimination des armes biologiques sous le fallacieux prétexte que celui-ci aurait été contraire aux «intérêts» de l’industrie étasunienne, se dit maintenant en faveur de contrôles internationaux. Devrons-nous attendre l’explosion d’une bombe nucléaire avant de demander l’élimination des armes de destruction massive? Devrons-nous attendre le déclenchement d’une nouvelle attaque terroriste de grande envergure avant de demander la ratification immédiate du traité pour la constitution d’une Cour internationale de justice capable de traiter des crimes contre l’humanité de cette ampleur?




Quiconque cherche à comprendre la violence exacerbée de groupes comme Al-Quaida n’a qu’à se rappeler les escouades de la mort rwandaises, qui assassinaient systématiquement tous ceux qui portaient des lunettes, sous le prétexte qu’ils étaient susceptibles de savoir lire et donc de pouvoir réfléchir, ou encore les fascistes serbes, qui ont détruit systématiquement les librairies et la civilisation urbaine de Bosnie avec autant d’empressement qu’ils en ont mis à assassiner leurs victimes musulmanes. Devrons-nous attendre d’autres Rwanda et d’autres Bosnie avant d’entreprendre sérieusement de doter les Nations-Unies des capacités judiciaires, financières et militaires qui lui permettraient d’intervenir avec crédibilité? Le peuple d’Afghanistan devra-t-il endurer une autre décennie de guerre, de crise, de répression et de bouleversements avant que ses besoins – et ceux de la cohorte internationale toujours croissante de réfugiés affamés – soient réputés mériter le soutien international?




VLe mouvement ouvrier a le droit – plus, il a l’obligation – de soumettre la campagne militaire en cours à un examen critique, d’insister pour que les cibles militaires soient limitées et définies avec précision, et de faire pression pour que soit enclenché activement le processus qui se fait attendre depuis trop longtemps déjà en vue de solutionner les causes profondes des conflits dans le monde. La véritable sécurité ne viendra que du développement de la démocratie, de l’élimination de la pauvreté et de la défense universelle des droits de la personne et de la dignité humaine, qui constituent les fondements du mouvement syndical international.




Par-dessus tout, nous devons insister sur la défense de notre droit de penser et d’agir de manière indépendante, et sur notre engagement à une solidarité globale. La déréglementation mondiale, sous le couvert du «libre-échange», est une recette qui mène à la misère et au chaos dans le monde. Ne serait-ce que pour cette seule excellente raison, nous n’avons aucune intention de dire adieu à Seattle.