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L’Irak et la Banque mondiale : le pillage continue

Inséré sur le site web de l'UITA le 29-Oct-2003

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Les rumeurs qui reviennent périodiquement à propos d’une évolution fondamentale dans les politiques de la Banque mondiale se sont encore une fois révélées prématurées. Ceux qui croient en l’événement d’une Banque mondiale plus douce et plus compréhensive devraient consulter l’Évaluation conjointe des besoins de l’Irak réalisée par les Nations unies et la Banque mondiale et disponible (en anglais) sur le site Web de cette dernière (www.worldbank.org).

L’étude a été réalisée pour la conférence des pays donateurs tenue à Madrid les 23 et 24 octobre. Elle vise à recenser les principaux besoins de reconstruction par secteur et à encourager les investissements et les politiques macroéconomiques «appropriées».

Celles et ceux qui connaissent bien les antécédents et l’approche globale de la Banque n’y trouveront aucune surprise. La section traitant de l’alimentation et de l’agriculture constitue un bel exemple. Dans un pays ravagé par la malnutrition et le chômage, l’agriculture (qui compte normalement pour plus de 20 p. 100 des emplois) reçoit trois petites pages (le rapport ne fait nulle mention du pétrole – ce dossier a bien sûr déjà été réglé). Les principaux enjeux politiques et institutionnels de la Banque sont résumés comme suit:

[TRADUCTION]Avec le soutien et l’environnement politique adéquat, le secteur agricole irakien pourrait apporter une contribution substantielle à la croissance économique et à la création d’emplois…avec une libéralisation économique bien mesurée et l’ouverture des marchés, [l’agriculture] pourrait apporter une contribution significative aux revenus, à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté dans le pays. Le ministre en poste a fait les premiers pas en établissant le prix des fertilisants pour la récole d’hiver de blé et d’orge à un niveau supérieur à celui de l’an dernier, tout en recommandant que le prix des récoltes soit plus près [c’est-à-dire plus élevé] des prix aux frontières, signalant que le marché deviendrait, à terme, le principal élément moteur de l’agriculture. Le ministre entreprendra également sous peu des consultations élargies sur des politiques de réduction des subsides sur les aliments.

L’étude est remplie de références aux filets de sécurité sociale, mais les mécanismes ne sont jamais dévoilés. Afin d’éviter toute confusion sur la question des politiques alimentaires clés, la section portant sur les «Besoins immédiats – 2004 » appelle à des travaux «immédiats» sur les «options de réforme politique et institutionnelle, y compris un rôle accru pour le secteur privé, la production concurrentielle, [et] l’élimination graduelle des subsides». En ce qui a trait aux «Priorités à moyen terme» jusqu’en 2007, l’objectif devient un secteur agricole «caractérisé par la dominance des activités du domaine privé dans des conditions de libre marché».

Le lecteur cherchera en vain quelque information que ce soit sur les structures de propriété, l’emploi, les intrants ou la commercialisation dans le secteur agricole irakien. Pour les auteurs, il n’est tout simplement pas important de savoir qui est propriétaire de la terre ou de quelle façon elle est travaillée, qui a faim et qui est bien nourri. Partout et en tout temps, les prescriptions politiques sont les mêmes: les prix doivent être libérés et les subsides éliminés. Bien que la Banque mondiale ait toujours nié avec insistance pratiquer une approche de pensée unique dans sa politique, la section du rapport traitant de l’agriculture n’en conclut pas moins sur ces mots: [TRADUCTION] « Plusieurs des priorités recensées pour le secteur de l’agriculture se répètent dans d’autres secteurs, comme la gestion du territoire, la création d’emploi et le climat d’investissement ».

Si ces mots vous semblent familiers, c’est que nous les avons entendus à satiété. Les prescriptions de la Banque mondiale dans le secteur de l’agriculture ont connu des échecs spectaculaires partout où elles ont été appliquées. La Banque n’en est pas seule responsable, mais après quelques décennies d’interventions des charlatans du « libre marché », l’insécurité alimentaire a bien davantage augmenté que diminué dans le monde. Appliquées à l’Irak, ces recettes mèneront à la faim et à la violence, et non à la démocratie et au développement. L’approche de «choc et stupeur» promise par les forces armées américaines s’appliquera maintenant au secteur de l’alimentation du pays.

De quels besoins est-il question dans ce guide de l’investisseur camouflé en «évaluation des besoins»? L’investissement devait fournir des emplois aux quelques sept millions d’irakiens/nes en chômage. Or, les entreprises américaines importent des travailleurs/euses migrants/tes pour «reconstruire» l’Irak. Kellogg Brown and Root, une filiale de Halliburton, l’entreprise autrefois dirigée par l’actuel Vice-président des États-Unis, Dick Cheney, a sous-traité les services alimentaires de l’armée étasunienne à la société saoudienne Tamimi. Pour préparer et servir ces repas, Tamimi emploie 1 800 travailleurs/euses originaires d’Asie du Sud. Selon le Financial Times, la société compte environ «une douzaine» d’employés/es irakiens/nes… au service du nettoyage. Les travailleurs/euses reçoivent environ USD 3 par jour et ont droit à un congé tous les deux ans. Selon un dirigeant de Tamimi, la société ne peut employer d’Irakien/nes, qui représenteraient un «risque de sécurité».

Sous la dictature du Parti Bath, l’Irak a fait l’objet d’un pillage systématique durant des décennies. Aujourd’hui, une nouvelle période de pillage institutionnel se prépare. L’Ordonnance 39, émise par le chef de l’Autorité provisoire de la coalition, Paul Bremer, accorde aux investisseurs étrangers le droit absolu de rapatrier les profits et autres formes de bénéfices, immédiatement et au complet, tout en abolissant les restrictions sur la propriété étrangère dans tous les secteurs sauf celui de l’énergie.

Un fonds international de reconstruction a été constitué sous l’égide de l’ONU et de la Banque mondiale, afin de favoriser les investissements en Irak par des gouvernements qui souhaitent paraître se démarques de la politique des États-Unis et du Royaume-Uni. La surveillance internationale est censée assurer une plus grande transparence. Cette «Évaluation des besoins» de l’Irak, préparée par la Banque mondiale, ne donne que peu d’espoir quant à une reconstruction qui bénéficiera au peuple irakien. Le Congrès des États-Unis a commencé à enquêter sur des allégations de collusion dans les soumissions et de profits excessifs de la part d’entreprises membres de la coterie du Département de la défense, qui ont ainsi pu être les premières sur le terrain. Il est temps de faire toute la lumière sur les politiques de la Banque mondiale en Irak si nous voulons empêcher la reprise du pillage.